Dans les CAE se déploient des aventures individuelles dans un cadre collectif… mais aussi des aventures collectives qui renouvellent les cadres !
À travers le récit d’Audrey Lecompte, facilitatrice numérique et gérante de la CAE On est bien là, nous vous proposons de revivre les grandes étapes du parcours de la marque collective Bien fait pour ta Com’. Cette agence de communication lilloise spécialisée dans l’ESS et la communication publique s’apprête à fêter ses 10 ans. D’une marque collective au sein de la CAE GrandsEnsemble à la création de leur propre SCOP – en passant par la création d’une CAE spécialisée dans les métiers de la communication et de la création -, découvrez les jalons de cette aventure humaine et entrepreneuriale à la sauce coopérative !

Audrey Lecompte, heureuse membre et co-fondatrice de la marque collective Bien Fait pour ta Com’, également gérante de la CAE On est bien là. Crédit photo : Chau-Cuong Lê.
2013/2014 : La rencontre initiale au sein de la CAE GrandsEnsemble
La légende raconte qu’ils et elles se seraient rencontré·es devant la machine à café et qu’ils auraient été immédiatement uni·es par l’envie furieuse de combattre l’insipide… Ils et elles sont des entrepreneur·es en communication de la CAE GrandsEnsemble, qui a alors ses locaux à La Grappe, un lieu collectif situé rue Gambetta à Lille qui comprenait les bureaux de structures de l’ESS et un coworking ouvert aux entrepreneur·es de LA CAE. La plupart de entrepreneur·es en communication sont expérimenté·es, « la trentaine bien tassée », ils et elles ont déjà bossé en agence ou chez l’annonceur.
Ancienne cheffe de projet web, ex-salariée devenue entrepreneure, Audrey Lecompte est pour sa part arrivée chez Grands Ensemble en 2013, un peu par hasard. Elle nous raconte l’histoire de la naissance du « groupe com » de manière plus concrète : « On était plusieurs communicant·es et il y a eu l’idée au sein de Grands Ensemble de créer des filières métiers, de favoriser des temps de travail entre entrepreneur·es des mêmes secteurs. Moi je travaillais déjà un peu avec Céline Parat (conceptrice-rédactrice) sur certains trucs. Du coup on s’est mises à animer ce qu’on a appelé des « apéros com’ ». La forme était conviviale… mais on était un peu sur les tours de table d’actu, il n’y avait pas forcément de projet commun au départ. »
La survenue d’une opportunité de réponse à un marché public nécessitant des compétences diverses a accéléré la collaboration effective : « C’est en faisant, très concrètement, que l’on a trouvé comment travailler ensemble ».
Fin 2014, Héléna Salazar arrive dans le groupe et propose de mettre ses compétences d’animatrice au service du collectif, ce qui contribuera à le structurer. Assez vite, le groupe ressent l’envie de construire ensemble, et passe à un séminaire de 2 jours pour travailler de manière plus opérationnelle.

Héléna Salazar, Facilitatrice graphique et visuelle, animatrice de temps d’intelligence collective, entrepreneure en CAE et membre de la marque collective Bien Fait pour ta Com’ de 2015 à 2024.
« C’est en faisant, très concrètement, que l’on a trouvé comment travailler ensemble ».
2015 : Création de la marque collective Bien Fait pour ta Com
L’idée de créer une marque, de lui trouver un nom et un logo apparaît : ce sera Bien Fait pour ta Com’. L’identité visuelle est créée par Jean Robert, directeur artistique qui a récemment rejoint le groupe. Audrey raconte : « Avec cette étape, la nécessité de partager la vision et le positionnement s’est renforcée. Il y a eu un séminaire qui a éclairé certaines divergences de visionss. Dix entrepreneur·es ont convergé et décidé de continuer ensemble, quatres autres ont décidé de faire leur chemin hors de la marque. À partir de là, l’investisssement dans la marque collective a été une question d’équilibre, d’envie ! ».
Le positionnement de la marque est clair et engagé. Il s’agit de redonner ses lettres de noblesse à la communication, en revenant à son étymologie initiale : relier, créer du commun. Audrey précise : « Il y a aussi un autre élément fort de notre identité qui est de ne pas se présenter comme détenteur·ices de solutions toutes prêtes, mais plutôt d’amener à réfléchir avec les client·es et les publics concernés en intelligence collective. »

Bien fait pour ta com’, embarquez avec les rockstars de la communication engagée lilloise ! Le collectif en 2016. Crédit photo : Remi Pailleux.
Toujours au sein de La Grappe, la marque quitte l’espace de travail collectif pour occuper un bureau commun. Le lancement de la marque fonctionne et les client·es se multiplient. Conformément au positionnement de l’agence, ces dernier·es sont principalement des collectivités locales et des associations de la région.
2018 : En route vers l’autonomie de la marque collective
À l’étroit dans leur bureau commun, le collectif décide après quelques années de déménager rue Nicolas Leblanc, au centre-ville de Lille. La marque collective tourne de plus en en plus, mais cela n’empêche pas chaque entrepreneur·e de continuer ses propres activités individuelles à côté. Audrey précise : « Chacun·e gère un peu à sa manière : certain·es sont à environ 50% de leur temps sur la marque, d’autres à 100 % ».
« Chacun·e gère un peu à sa manière : certain·es sont à environ 50% de leur temps sur la marque, d’autres à 100 % ».
Audrey raconte : « Après environ 3 ans, l’envie de prendre notre autonomie est apparue. Même si la CAE nous avait bien accompagné·es, on était un collectif dans le collectif, on avait commencé à développer notre propre manière de fonctionner. Donc peu à peu, on a eu envie de s’émanciper… C’est comme ça que l’on a eu l’idée de créer notre propre CAE. » La possibilité de mettre en place le contrat CESA (Contrat d’Entrepeneur·e Salarié·e Associé·e) facilitant les modulations de salaire, apparue avec la loi Hamon sur l’ESS de 2014, est également un élément de contexte qui a conforté le choix de créer une CAE sur mesure.
2019 : création de la CAE « On est bien là »
Pas une mince affaire que de créer une CAE ! Audrey relate : « On a été bien accompagné·es par l’URSCOP, mais il n’y avait pas encore la Fédération des CAE. On avait quelques références de CAE spécialisées » dans d’autres régions, mais le modèle étant relativement récent… on l’a fait un peu à notre sauce. » Les 10 fondateur·ices de Bien Fait pour Ta Com se retrouvent donc associé·es à la CAE On est bien là. ExtraCité, partenaire historique de Bien Fait pour ta Com, est également associé à la CAE. Audrey commente : « C’est là que l’on voit tout l’intérêt d’un collectif qui est né dans un tiers-lieu (La Grappe) : ça a favorisé plein de rencontres au démarrage qui constituent notre écosystème encore aujourd’hui ».
Si On est bien là devient alors le véhicule des entrepreneur·es de Bien Fait pour ta Com’ (qui quittent donc GrandsEnsemble), l’idée de la CAE naissante est aussi d’accueillir de nouveaux membres. Cette idée sera néanmoins différée dans un premier temps, comme l’explique Audrey : « Il fallait déjà sécuriser nos propres situations avant de nous donner les moyens d’accompagner de nouveaux et nouvelles entrepreneur·es ». C’est à partir de 2023 que l’accueil d’autres entrepreneur·es se mettra effectivement en place via la création d’un poste d’accompagnement à mi-temps occupé par Audrey.
2020 : Crise du Covid, ou comment rester uni·es malgré des réalités différentes
Mais revenons un peu en arrière dans l’histoire de Bien Fait pour ta Com’. Pendant la pandémie, les membres du collectif font face à des réalités très contrastées. « Les activités liées à l’événementiel étaient totalement en pause. Mais moi qui était sur le numérique, mon activité a explosé pendant le confinement. Dans le groupe, certain·es ont bénéficié du chômage partiel, d’autres ont continué à travailler… mais l’angoisse pour la suite était quand même là pour tout le monde ! ».
Comme le rappelle Audrey, le collectif a alors joué un rôle important, tant sur le plan psychologique qu’économique. « Les entrepreneur·es qui étaient débordés pouvaient refiler des dossiers à celles et ceux qui n’avaient plus beaucoup d’activité. La mutualisation de la trésorerie au sein de On est bien là peut permettre des avances de salaire pour celles et ceux qui traversent des temps plus difficiles, a aussi été d’un grand secours au cours de cette période ». C’est donc l’union qui fait la force, une fois encore.

Se serrer les coudes pendant le confinement… mais aussi avant et après ! Bien fait pour ta Com’ en 2024. Crédit photo : Chau-Cuong Lê.
2022 : Installation au BOC… en passant par le Bazaar Saint-Sauveur
La pandémie passée, le loyer du local rue Nicolas Leblanc commence à peser financièrement, d’autant plus que le télétravail s’est pas mal développé chez les entrepreneur·es. L’idée de déménager apparaît, mais prend du temps à se réaliser comme le raconte Audrey : « Trouver des bureaux dans Lille avec les critères que l’on s’était fixés, ça a été la super galère ! On a trouvé les locaux au B.O.C, mais il y avait des travaux, c’est pourquoi on a fait un saut de puce au Bazaar Saint-So. Et finalement c’était super car on s’est de nouveau rendu compte que ce genre de lieu aide vraiment à créer des synergies. Finalement on a réalisé que l’on s’était un peu isolé·es en allant rue Nicolas Leblanc. »
En juillet 2022, après quelques inévitables retards de travaux, la troupe arrive enfin au BOC. Situé au 98 bis rue Brûle Maison à Lille, le B.O.C (pour Brasseurs d’Organisations Coopératives) est un « lieu collectif dédié aux acteurs de l’écosystème coopératif, pensé pour favoriser échanges et collaborations entre structures ». Bien Fait pour ta Com’ y retrouve un écosystème riche d’autres structures « amies » actrices de l’ESS qui étaient également autrefois à La Grappe : ExtraCité, le cabinet comptable Humafin’, le RTES, Voix publique et d’autres qui les ont rejoint, comme Écologic. On est bien là devient sociétaire d’Immocop le BOC, l’union des coopératives propriétaire des locaux depuis 2023.

Créer une marque qui cartonne, monter une CAE, créer des postes, déménager 6 fois, passer en SCOP… ? Pas de problème : Audrey et ses camarades vous font tout ça avec le sourire ! Crédit photo : Jean Robert.
Bien Fait pour ta Com’ franchit alors un pas de plus dans sa structuration, comme le décrit Audrey : « Parallèlement à ça, on a peu à peu senti le besoin de créer un comité stratégique qui serait plus restreint que le collectif au complet et qui serait chargé de faire des propositions pour la structure concernant la gouvernance, le fonctionnement, la production et le développement… »
« … On a peu à peu senti le besoin de créer un comité stratégique qui serait plus restreint que le collectif au complet… »
Fin 2023 : recherche de solutions
Bien Fait pour ta Com’ va toujours bien, avec a un chiffre d’affaires en évolution constante, qui dépasse même les prévisions . Cependant les entrepreneur·es remarquent une forme d’iniquité : certain·es passent beaucoup de temps sur les volets stratégiques et prospectifs, mais ne sont pas forcément rémunéré·es pour cela. Audrey expose la problématique : « Le développement commercial, les réponses au marché public, l’animation des réunions, les temps de représentation, les temps de suivi des productions : tous ces temps liés au fonctionnement et au développement de la structure étaient bénévoles ou très peu rétribués, et se faisaient au détriment de nos activités. En CAE, ce sont les prestations qui sont facturées aux client·es qui sont réparties entre les personnes qui les ont réalisées qui sont rémunérées, puisqu’un chiffre d’affaire y est associé. »
« … tous ces temps liés au fonctionnement et au développement de la structure étaient bénévoles ou très peu rétribués, et se faisaient au détriment de nos activités. »
Même si le collectif « bricole des choses » pour essayer de rétribuer ces temps (pourcentage, enveloppes, etc.), il ne trouve pas de formule satisfaisante. De plus, On est bien là a commencé à accueillir de nouveaux et nouvelles arrivant·es : le besoin de distinguer davantage les deux structures se précise.
Audrey décrit cette période : « On a entamé des réflexions sur tout ça, au départ via le comité stratégique, puis cela a été posé en collectif en réunion et lors de nos séminaires. Peu à peu, la création d’une SCOP est apparue comme une solution pour résoudre ces sujets. » Peu de temps après, l’agence remporte simultanément deux marchés publics avec un engagement de 3 à 5 ans impliquant de forts mouvements trésorerie, ce qui est complexe et risqué pour une CAE : la solution SCOP est alors confortée.
2023/2024 : Création de la SCOP Bien Fait pour ta Com’ et émancipation d’On est bien là
Le processus est néanmoins un peu long car tout se passe dans la concertation :« On a travaillé ensemble sur les contrats, les conventions, les grilles salariales, etc. ». Autour d’un noyau dur, le collectif bouge : certain·es partent, d’autres arrivent.
Les entrepreneur·es de Bien fait pour ta Com’ passent alors de l’hébergement dans la CAE On est bien là à des contrats de travail au sein de la SCOP, mais de manière progressive et variable, conduisant à un calibrage de 4,6 ETP. Audrey rappelle : « On réfléchit ensemble pour faire les choses correctement, par exemple pour ne pas pénaliser la petite-sœur On est bien là, car il y a pour nous une cohérence à pérenniser la CAE qui offre de l’agilité et permet d’accueillir de nouvelles personnes qui partagent nos valeurs. »

Ils et elles ne sont pas bien, là ?? Quelques néo-entrepreneur·es de la CAE On est bien là réuni·es au B.O.C. en 2025.
De son côté On est bien là gagne en visibilité et s’ouvre plus largement aux entrepreneur·es des métiers de la communication et de la création. « La structure qui était la partie immergée de l’iceberg est désormais devenue visible, un peu comme si l’iceberg se retournait ! » image Audrey.
2025 : le bilan des 10 ans ?
Dix ans après ses débuts, Bien fait pour ta com’ a parcouru bien du chemin, même si les entrepreneur·es prennent rarement le temps de regarder dans le rétroviseur. Audrey s’en amuse : « Comme je le dis souvent, on s’est pas cherché·es mais on s’est bien trouvé·es ! ». Bien sûr, l’équipage a bougé au fil du temps : certain·es sont arrivés·es en cours de route, d’autres sont parti·es voler de leurs propres ailes et fonder d’autres projets. Audrey résume : « On a vécu ensemble différentes phases de vie d’une structure ! On nous avait conseillé de penser dès le début d’une création aux sorties du collectif, pour qu’elles soient sereines. C’était vraiment un bon conseil ! On s’est toujours laissé cette agilité de pouvoir quitter la marque facilement. »
La création de la CAE On est bien là a longtemps favorisé cette agilité et permet aujourd’hui une forme de coopération, voire de solidarité entre les structures, comme l’explique Audrey : « Nous avons un sociétariat croisé, mais au-delà de l’aspect juridique, la CAE est aussi un vivier de ressources qui nous permet d’accéder à des compétences très spécifiques car on y trouve certains métiers créatifs de niche. Pour nos entrepreneur·es, cela peut amener des prestations, mettre le pied à l’étrier. » Réunissant actuellement 14 entrepreneur·es, la CAE aimerait atteindre 27 membres d’ici 2027 !
Plus globalement, comment analyser avec cette décennie de recul les éléments du succès de Bien fait pour ta com’ ? Audrey propose : « Je crois que les ingrédients ont été des compétences très complémentaires, la volonté d’expérimenter, et le fait de se laisser le temps aussi… On n’était pas du tout en mode start-up ! Et ça c’est aussi ce que permet la CAE. Quand on est en CAPE, on a moins de pression sur le chiffre d’affaires, on peut tester des choses… Il y a eu différents temps, avec des disponibilités pas forcément synchronisées, mais il y avait toujours des gens moteur et on prenait le temps pour se mettre d’accord. Tout a été réfléchi collectivement. C’est ce qui a fait que ça a pris aussi : tout le monde a apporté sa pierre à un moment, donc forcément ça nous attache au projet commun. »
« Je crois que les ingrédients ont été des compétences très complémentaires, la volonté d’expérimenter, et le fait de se laisser le temps aussi… »
Si la CAE On est bien là reste au B.O.C, Bien Fait pour ta com’ commence à être à l’étroit et pourrait bien démanger à nouveau très prochainement… En parallèle, la SCOP ne manquera pas de célébrer ses 10 ans avec comme il se doit !
Hors de question de s’endormir sur les lauriers de cette succès story coopérative ! Les défis restent nombreux pour les deux structures comme le conclut Audrey : « Si on doit terminer sur des enjeux, je dirais que ce serait de garder une organisation fluide au sein de Bien fait pour ta Com, ce qui est un peu plus compliqué en SCOP qu’en CAE… et de développer On est bien là, notamment la gouvernance de ce nouveau collectif ».