Ingénieur et tatoueur. Consultant et livreur à vélo. Père de famille et entrepreneur… Celui qui se décrit comme un scientifique, voire un nurd, a toujours été aussi un artiste en quête d’autres formes d’organisation du travail. Et si la CAE permettait de concilier tout cela ?
Chez Optéos depuis 4 ans, Tristan mène sa barque et cumule différentes activités sous différents statuts. Enntre prestations rémunératrices et exploration de ses différents métiers-passion : retour sur un parcours fait de hasards et de choix…
Quelques années pour trouver sa voie
Après l’obtention de son bac scientifique dans un lycée lillois, Tristan se cherche. Attiré d’abord par la biologie, il tente la fac de pharmacie mais il n’y fera pas long feu, comme il l’explique : « Le milieu de la fac de pharmacie n’était pas du tout mon milieu social d’origine. J’ai essayé quand même mais j’avais une crête sur la tête, des piercings et des tatouages partout, je ne me sentais pas forcément le bienvenu… ». À côté de ces études qu’il peine à investir, Tristan fait de la musique et dessine, ses deux véritables passions.
« Je suis la preuve vivante qu’il ne faut pas forcément paniquer quand son fils rate ses premières années de fac ! »
Finalement, il tente un repli sur la fac de maths-physique et après trois premières années de licence, Tristan fini par trouver sa voie. Il s’investit dans un parcours de production et ingénierie audiovisuelle à l’Université de Valenciennes – aujourd’hui reconnu par l’INSA (Institut Nationale des Sciences Appliquées) – qui lui confère le statut d’ingénieur. Son Master d’ingénierie en poche, il se destine théoriquement à devenir directeur technique d’une chaîne de télévision… Mais il préfèrerait être ingénieur système dans le spectacle vivant.
Au gré des hasards : de stagiaire à responsable d’agence
Finalement, il trouve son stage professionnalisant de fin de cursus dans un bureau d’étude et cabinet conseil à Paris, dans lequel on lui propose rapidement de rester comme salarié. Ensuite, tout va très vite : suite au décès soudain de son directeur, il devient associé et responsable de l’agence de Paris. Tristan se retrouve pris dans le tourbillon : « Au départ, je n’étais pas parti pour rester réellement. Puis en fait, j’ai eu pas mal de projets assez cools… Il a fallu du renfort, alors j’ai recruté des copains de fac ».
Mais Tristan n’oublie pas ses premières amours. En parallèle de ce boulot à temps plein, il est aussi ingénieur du son pour un groupe de copains qui tourne bien : « L’attrait de la scène a toujours été là », admet Tristan. À l’arrivée de son premier enfant, en 2017, Tristan tient à être disponible : il réorganise ses priorités et arrête les tournées.
« L’attrait de la scène a toujours été là… »
Le grand virage
En 2018, Tristan et sa compagne s’installent à Bordeaux où il doit monter une nouvelle agence du bureau d’étude. Mais au bout de presque 10 ans dans ce secteur, Tristan admet s’être lassé de ce boulot « très papier ». Il ressent l’envie de passer à autre chose. D’autant plus que sans la musique, il ne trouve plus le même équilibre que lors de ses premières années de travail. L’expérience bordelaise est difficile : Tristan fleure le burn-out et finit par demander une rupture conventionnelle.
Fin 2019, peu après la naissance de leur deuxième enfant, le couple décide de revenir à Lille. Avec sa compagne, devenue également entrepreneure, Tristan réaffirme l’idée de faire des choix professionnels en adéquation avec le fait de pouvoir s’occuper de ses enfants le plus équitablement possible, ce qui implique de pouvoir concilier ses horaires et de se rendre disponible quand l’autre ne l’est pas.
Tristan réaffirme l’idée de faire des choix professionnels en adéquation avec le fait de pouvoir s’occuper de ses enfants le plus équitablement possible…
Pour Tristan, c’est le moment d’écouter une envie qui le taraude depuis quelques années déjà : celle de devenir tatoueur. Il compte sur sa période de chômage pour entamer cette reconversion.
Déconvenues, opportunités et conciliations
Hélas, le Covid arrive, et paralyse fortement le secteur du tatouage : mauvaise période pour entrer en apprentissage chez un copain tatoueur, comme le prévoyait initialement Tristan.
En parallèle, des anciens clients reviennent vers Tristan avec des commandes en ingénierie audiovisuelle. Il refuse dans un premier temps voulant rester concentré sur sa reconversion. Mais au bout d’un an, face à l’impossibilité de travailler dans le secteur du tatouage de manière soutenable, il ressent le besoin de se sécuriser financièrement. Tristan cherche alors un statut qui lui permette de facturer sans renoncer aux droits sociaux qui rendent possible le démarrage de ses autres projets.
Par une voisine, il entend parler d’Optéos et découvre au passage l’ESS et les CAE : « Pour moi, le contrat CAPE a été une fenêtre d’opportunité pour pouvoir recréer une trésorerie sans avoir à créer une boîte. Qui plus est, cela pouvait me permettre de me salarier, donc de cotiser à nouveau et de redéclencher des droits en cas de besoin ».
« Pour moi, le contrat CAPE a été une fenêtre d’opportunité pour pouvoir recréer une trésorerie sans avoir à créer une boîte… »
Retour vers la musique
Cela lui semble d’autant plus pertinent que ses activités musicales ont finalement repris. Il raconte : « Un copain a monté un projet musical solo en électro-acoustique, qui s’appelle YMNK, et il est venu me chercher comme ingé son ». Tristan accompagne son ami dans ses dates de concert et réalise depuis lors des cachets d’intermittence.
Enfin, à ses heures perdues, Tristan peut aussi mener via la CAE quelques prestations ponctuelles de graphisme et d’illustration, ou encore travailler à la création de films d’animation. Il a notamment travaillé sur la création artistique et l’animation d’un clip vidéo pour YNMK, sorti en octobre 2024.
Jonglant entre ses différentes activités et projets, entre vie professionnelle et vie de famille, Tristan a aussi besoin de jongler entre les statuts et les sources de revenus. La CAE permet cette souplesse.
Trouver son collectif au sein de la CAE
Une fois chez Optéos, Tristan découvre l’existence de Lille Bike, marque d’un collectif de coursiers de la CAE. Il décrit cette dynamique : « le collectif a des facettes différentes, il a bougé au fil du temps et s’est stabilisé avec sept personnes en 2022. Durant deux ans, j’ai pas mal roulé avec eux, pour participer au projet collectif ».
En effet, sur la base de ses affinités, Tristan teste l’activité de livraison à vélo. Une manière de sortir de son bureau et de « débrancher le cerveau » grâce à l’effort physique.
« Ça m’a plu d’être dehors et de découvrir un nouveau métier ! ».
Mais avec le temps, Tristan clarifie son implication : « Je n’ai pas non plus envie de devenir coursier à plein temps, de pédaler toute la journée. C’est plus de participer à l’expérience collective qui me motive ». En effet, les modes de gouvernance sont un sujet très important pour Lille Bike. Tristan explique : « La marque est adhérente du collectif Coop Cycle qui est assez militant. Il y a une vraie impulsion de recherche d’un autre modèle de vie et de travail. Avec toutes les difficultés qu’impose aussi une gouvernance horizontale ! Mais c’est très chouette comme expérience humaine et politique. »
Concrètement, cela se traduit par la colocation d’un bureau lorsque le collectif s’installe dans un nouveau local, rue d’Arras à Lille avec Lille Bike et La Bici, marque collective d’atelier de réparation de vélo. « Ce qui me plaît chez Lille Bike, c’est aussi que c’est un collectif à taille humaine. Il y a un vrai vivre-ensemble. Ça m’a permis de me sentir moins isolé… ».
Trois tiers temps à géométrie variable pour un nouvel équilibre professionnel
Au bout de deux ans en contrat CAPE, Tristan passe en contrat CÉSA en janvier 2023. Peu à peu, un nouvel équilibre s’aménage. Si Tristan consolide son activité d’ingénieur audiovisuel freelance à travers la marque Phase a créée au sein de la CAE, il ne renonce pas à ses rêves pour autant…
À Dunkerque, il a trouvé un tatoueur qui l’accueille dans son salon de manière régulière : il y est désormais résident 2 jours par semaine. Pour le moment, il a choisi de mener cette activité en micro-entreprise, comme le font les autres tatoueurs du salon, l’activité de tatouage n’étant pas comprise dans les activités couvertes par l’assurance de la CAE.
Tristan envisage cependant que cela puisse évoluer : « J’essaie d’amener doucement l’idée des pratiques coopératives dans le milieu du tatouage, en leur expliquant comme on fonctionne à Lille Bike et chez Optéos. Ils découvrent tout ça, ils hallucinent ! L’idée fait son chemin… mais on en est encore loin ! ».
« J’essaie d’amener doucement l’idée des pratiques coopératives dans le milieu du tatouage… »
Comme l’explique Tristan, son agenda varie d’une période à l’autre, en fonction des commandes et de ses priorités : « Quand j’avais des gros marchés audiovisuels, je les priorisais et je n’étais pas disponible. Mais quand j’avais du temps libre, je l’accordais à Lille Bike. C’était beaucoup moins lucratif, mais c’était OK comme ça. »
Décollage musical et nouveaux choix
Peu à peu, les dates de concert du projet musical YMNK se multiplient jusqu’à une cinquantaine par an. De nouveau, Tristan doit faire des choix. Faute de temps, il finit par réduire son implication dans le collectif Lille Bike, jusqu’à en sortir officiellement à l’été 2024. Il conserve toutefois son bureau dans le local partagé.
Le collectif s’est depuis constitué en SCOP, quittant la CAE Optéos pour voler de ses propres ailes. Un processus au long cours que Tristan a accompagné au départ, mais dans lequel il a finalement décidé de ne pas prendre de part officielle. « Avec la musique qui a pris de plus en plus de place, et l’envie de garder du temps avec mes enfants, ça ne rentrait tout simplement plus dans l’agenda ! », commente l’intéressé.
Dès lors, pourquoi ne pas tout miser sur la musique ? Prévoyant, Tristan explique : « Je n’aimerais pas être intermittent et devoir courir après les cachets pour refaire mon statut chaque année, au risque d’y perdre le plaisir. Mon activité d’entrepreneur me permet de concilier les choses, sans mettre de stress sur la partie musicale et sans sacrifier ma vie de famille ».
Entreprendre en CAE : bilan positif et lucide à la fois
« Pour moi, la richesse de la CAE, c’est de pourvoir tester plusieurs métiers… »
Quand on lui demande un retour sur le choix d’être en CAE, Tristan répond du tac au tac : « Pour moi, la richesse de la CAE, c’est de pourvoir tester plusieurs métiers. Chez Optéos il y a la question de la mutualisation ainsi que la réflexion sur les communs qui sont vraiment intéressantes. La recherche des balances m’intéresse beaucoup et le modèle coopératif me correspond. »
S’il a pu retrouver un équilibre dans cette vie professionnelle multiple et riche de sens, Tristan tient néanmoins à rester critique quant au discours contemporain sur l’émancipation par le travail et l’entrepreneuriat : « Dans notre modèle libéral, pour moi c’est un mirage… Dans l’entrepreneuriat il y a de nombreux temps masqués qui sont parfois minimisés. On perd certains des avantages du salariat classique, comme la stabilité du salaire et la reconnaissance des heures supplémentaires. Tout n’est pas rose ! Certes on gagne en flexibilité, mais il y peut y avoir une précarité si on ne parvient pas à vendre correctement ses journées. C’est ça qui reste la problématique centrale de tous·tes les entrepreneur·es, et particulièrement en CAE. »
Un slasheur chanceux ?
Conscient de sa situation particulière, Tristan s’y retrouve mais ne veut pas idéaliser cette manière de travailler : « Switcher en permanence, ça comporte quand même un coût en termes de fatigue ! Ça m’impose beaucoup de rigueur. J’ai la chance d’avoir un passif, mon expérience dans un secteur porteur. Je me rends compte que c’est un métier de niche et que peu de personnes ont mes compétences en conception d’espaces sonorisés. Du coup, pour moi c’est une chance : ça devient une ressource qui permet mes autres activités ».
Et d’ajouter dans un sourire : « Mais moi, si je ne pouvais vivre que du rock’n roll et du tattoo, ça m’irait très bien ! ».